Ah ! Les villes romaines ! Leurs villas majestueuses et vastes, aux murs recouverts des plus belles mosaïques. Les ghettos, miteux, resserrés, et pourtant grouillant de vie. Les thermes, les édifices religieux. Jamais Mara, malgré tous ses voyages, n'avait vu de lieu mieux construit. À ses yeux, l'endroit le plus important, vital : le marché, plus communément appelé -pour une raison qui lui échappe- le forum. Que serait-une ville sans son marché ? Pas d'odeur, pas de crie, pas de curieux, pas de vendeurs. Une ville morte. Un humain sans cœur. Comme pour soutenir cette image, dans toutes les villes de ce genre où elle était passée, il était au centre de la ville, carrefour des grandes routes semblables aux veines, les habitants en étaient le sang. Tous les marchands, tous ceux qui venaient donner spectacle -jongleurs, cracheurs de feu, illusionnistes - et tous les autres en était l'oxygène.
Mara était arrivée la veille au soir. Elle ne savait pas dans laquelle de ces villes elle se trouvait exactement. Cela n'avait, au fond, pas grande importance. Elle avait passé la nuit dans une quelconque auberge, à la nourriture douteuse et aux prix exorbitants. À présent, c'est en tenant la conversation avec son cheval qu'elle se dirigeait vers le forum. Le yearling arabe, plus petit que ses congénères, semblait écouté la conversation avec attention. Parfois, il acquiesçait d'un hennissement rauque. Ils avançaient ainsi, les uns à la suite des autres -Mara précédant Mahoud, Mahoud précédant la charrette- parmi la foule grandissante du matin. Des gens de toutes sortes, de toutes les origines, allant eux aussi, pour la plupart vers ce cœur. Il est vrai qu'elle avait un peu traîné ce matin. Le soleil était plus haut que d'habitude, et elle ne pouvait espérer faire partie de ces premiers chanceux pouvant choisir avec soin et tactique leur emplacement.
Elle se cala entre un vendeur de légume et un autre de bijoux. Elle étendit le tapis rouge sans motif qui lui servait d'étalage. Puis dessus, étala à droite quelques pots d'épices très recherchées dans ces contrés pluvieuses. À gauche, quelques bijoux, colliers et bracelets, miroirs. Et au centre, elle, derrière deux coffres côte à côte. Ils contenaient ses objets les plus précieux, trésors qu'elle réservait à ceux qui sauraient y mettre le prix.
Les affaires commencèrent lentement. Elle se fit quelques pièces d'or en vendant des épices à un fin goûteur, quelques bracelets à une demoiselle coquette, une fausse couronne à un idiot qui devait se croire roi, et passons le reste, cela serait bien trop long à énumérer.
"Combien ?""Comment ?" demanda-t-elle sortant dans un sursaut dissimulé de ses rêveries.
"Combien pour le miroir ?" répéta l'inconnu d'un ton totalement neutre.
Elle l'examina rapidement, légèrement, histoire de décider du prix. Toge propre, bourse à la ceinture, apparemment bien remplie, la vingtaine, assez beau visage. Sûrement un cadeau pour une aimée.
"Ce miroir là ? Il est magique mon ami. Sa valeur... Je dirais indéfinissable. " Elle marqua une courte pause.
"Dix pièces. " Il lui lança de la manière la plus hautaine qui soit la somme demandée et se servit. Sans même tenter de négocier le prix ? Elle soupira. Mahoud hennit, un son qu'elle crut semblable à un rire. Elle se retourna et dit au fier destrier d'arrêter. Si elle avait su, elle lui en aurait demander 15 pièces. Un prix excessif, mais ce n'était pas cela qui semblait déranger son acheteur.
Un nouveau soupir, la journée s'annonçait bien calme.